La Cour de cassation tire le rideau sur les loyers commerciaux

16 décembre 2022

Les mesures d’urgence des pouvoirs publics

Afin d’enrayer l’épidémie de Covid-19, à compter de mars 2020, les pouvoirs publics ont imposé à certaines activités économiques des mesures drastiques d’interdiction de recevoir du public. Ces mesures ont essentiellement frappé les commerces dits « non-essentiels » (restaurants, bars, commerces non alimentaires, salles de spectacles, etc.). De nombreux établissements se sont ainsi retrouvés pendant plusieurs semaines dans l’impossibilité d’exercer leurs activités.

Assez vite les pouvoirs publics ont adopté des mesures de soutien aux activités économiques sinistrées. Pour les locataires, ces mesures se sont notamment traduites par un report de l’exigibilité des loyers. Ce report a été accordé pour les loyers1 et charges locatives arrivant à échéance entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de 2 mois à compter de la fin de l’état d’urgence sanitaire. Les loyersreportés pendant la période juridiquement protégée, sont cependant redevenus exigibles à son terme. S’estimant lésés, de nombreux locataires ont considéré ne pas être redevables des loyers dus pendant les périodes de fermeture.

Les tribunaux à la rescousse des locataires

Devant le refus opposé par certains locataires, les bailleurs ont saisi les juges pour obtenir le paiement de leurs créances locatives. Les locataires ont alors contesté l’exigibilité de leurs obligations. Les procédures ont témoigné d’une certaine inventivité juridique des locataires et ont interrogé plusieurs grands fondements du droit civil. De nombreux principes ont ainsi été (re)mis sur le devant de la scène : force majeure, bonne foi, imprévision, abus de droit, obligation de délivrance, etc. La force majeure a rapidement été écartée : celle-ci ne rend jamais impossible le paiement d’une somme d’argent. Le principe de bonne foi contractuelle, en raison de sa portée assez incertaine, n’a pas été retenu. Le débat s’est essentiellement cristallisé autour de l’obligation de délivrance du bailleur en cas de perte de la chose louée.

Sur le fondement de l’article 1722 du Code civil, certaines juridictions (parmi lesquelles le Juge de l’exécution du Tribunal Judiciaire de Paris) ont admis que l’interdiction de recevoir du public pouvait être assimilée à une perte partielle de la chose louée, exonérant le locataire du paiement des loyers pendant les périodes de ermeture. Cette position n’a pas été unanime et plusieurs juridictions ont, au contraire, refusé de faire droit à ces demandes.

La Cour de cassation sonne le glas

En raison du flou juridique créé par cette situation – qui n’est pas sans rappeler les contentieux des pertes d’exploitations – la position de la Cour de cassation était fortement attendue. Celle-ci a fait durer le suspense : un avis était espéré pour la fin de l’année 2021, mais celui-ci n’est jamais arrivé et ce n’est que par 3 arrêts du 30 juin 2022 que la Cour a finalement tranché le débat en rejetant les arguments des locataires et en confirmant l’exigibilité des loyers pendant les périodes de fermeture2. L’enjeu était de taille : comme le relève le communiqué de presse accompagnant les décisions, le montant des loyers et des charges immobilisés pendant les périodes de fermeture était estimé à plus de 3 milliards d’euros.

Ces décisions largement publiées ont ainsi clos un des volets de la « saga covid », qui, rassurons-nous, devrait rapidement revenir à l’affiche.

1 : Ordonnance n° 2020-316 du 25 mars 2020
2 : Cass. 3e civ., 30 juin 2022, n° 21-19.889, n° 21-20.127 et n° 21-20.190

Par Damien Le Mener, juriste

Une solution aux difficultés de trésorerie : les délais de grâce

16 décembre 2022

De nombreuses entreprises sont sorties fragilisées de la crise sanitaire. Face à la hausse des prix de l’énergie et des matières premières, certaines sont de nouveau confrontées à des difficultés de trésorerie. Cependant, des solutions existent pour obtenir un échelonnement de la dette ou un report pur et simple de celle-ci.

Entre commerçants, le délai de règlement des factures est légalement encadré. Il varie entre 30 jours à compter de la date de réception des marchandises ou d’exécution de la prestationet 45 jours fin de mois à compter de la date d’émission de la facture (Article L.441-10 du Code de commerce).

Les entreprises ont la possibilité d’aménager conventionnellement ces délais sans pouvoir dépasser 60 jours à compter de la date d’émission de la facture.

En cas de manquements à ces obligations, les entreprises s’exposent à des sanctions administratives. Pour le seul 1er semestre 2022, le montant cumulé des sanctions a atteint près de 13.8 M€. De plus, des pénalités ou intérêts de retard doivent être appliqués par les créanciers en cas de retard dans le paiement des factures.

En cas de difficulté de paiement, si aucun accord ne peut être trouvé amiablement, la juridiction peut être saisie.

Le recours aux délais de grâce :

Le juge dispose d’un pouvoir souverain pour accorder au débiteur qui les demande, des délais de grâce. Ces délais prennent soit la forme d’un report pur et simple de l’échéance de la dette, soit d’un échelonnement de la dette (Article 1343-5 du Code civil).

Le juge peut également ordonner que les sommes correspondant aux échéances reportées porteront intérêt à un taux réduit au moins égal au taux légal, ou que les paiements s’imputeront d’abord sur le capital.

La décision du juge présente également l’intérêt de :

  • Suspendre les mesures d’exécution (sauf les mesures conservatoires)
  • Suspendre toutes les pénalités ou majorations des taux d’intérêt prévus en cas de retard dans le paiement.

Les modalités d’obtention des délais de grâce :

Le juge tiendra compte de plusieurs critères pour se prononcer, comme :

  • La situation du débiteur qui rencontre des difficultés financières. Ces difficultés doivent exister, sans qu’elles ne rendent le débiteur insolvable.
  • La situation du créancier. Si le créancier dispose d’une situation économique beaucoup plus forte que le débiteur, cela peut être favorable à ce dernier. On peut imaginer qu’il en soit ainsi d’un utilisateur par comparaison avec un fournisseur d’énergie, ou d’un locataire avec son propriétaire.
  • D’autres critères seront également pris en compte comme l’ancienneté de la créance ou la bonne foi du débiteur.


Si ces mesures sont accordées, elles ne peuvent excéder 2 ans ; la dette devra impérativement être réglée dans ce délai.

Les pouvoirs du juge sont ainsi étendus et peuvent s’avérer décisifs pour les entreprises qui obtiennent ainsi un sursis.

En cas de difficultés, outre les mesures mentionnées, la médiation entre l’entreprise et ses créanciers peut être efficace pour parvenir à un échelonnement des dettes, tout comme la mise en oeuvre d’une conciliation (procédure amiable et confidentielle).

En tout état de cause, l’intérêt de l’entreprise est, pour sa part, d’agir dans les plus brefs… délais.

Me Simon Colloch, Avocat à la Cour d’appel de Rennes

Métro, quel impact sur les loyers commerciaux ?

12 mai 2022

L’ouverture au public de la ligne B du métro de Rennes est annoncée en mai 2022, avec 15 nouvelles stations et 2 000 places de parking. Tout cela va modifier nos habitudes de déplacement et provoquer de nouveaux flux. Dans de nombreux quartiers, la chalandise sera bouleversée. Cette évolution sera sans doute profitable pour les commerces les plus proches des nouvelles stations. À l’inverse, on peut craindre que des points de vente perdent de leur attractivité, car ils se trouveront à l’écart des nouveaux réseaux de transport. Ces modifications peuvent-elles influer sur le montant des loyers commerciaux ?

Plusieurs éléments de réponse méritent d’être posés.
La modification ne pourra pas se faire en temps réel, mais seulement au moment du renouvellement ou lors de la révision triennale qui suivront la mise en service du métro. Bailleurs et preneurs à bail commercial doivent donc être particulièrement attentifs au calendrier du contrat en cours : l’opportunité de solliciter une modification de loyer est rare. La rédaction d’un congé délivré avant mai 2022 pour une échéance contractuelle postérieure à cette date fera l’objet d’un soin particulier.

C’est à celui qui demande l’ajustement du loyer de prouver que la mise en fonctionnement du métro a impacté sur les « facteurs locaux de commercialité » propres à l’activité exercée. Cette modification doit être « notable », si la demande est faite lors du renouvellement, et elle doit « entraîner par elle-même une variation de plus de 10% de la valeur locative des locaux », si la demande est faite lors d’une révision triennale.

Il faut également rappeler que ce n’est qu’une première étape, qui ouvre la voie à la fixation du loyer « à la valeur locative de marché ». Avant toute démarche, il y a lieu de vérifier que cette valeur locative correspond à ce que l’on attend (une augmentation pour le bailleur, une réduction pour le preneur).

Demander une modification de loyer doit se faire par exploit d’huissier. Toutefois, la voie du dialogue et de la négociation ne doit pas être négligée, et peut s’ouvrir en parallèle. Lorsqu’elle aboutit, elle permet de savoir plus rapidement dans quelles conditions le bail se poursuivra ce qui aide à se projeter dans l’avenir.

En cas de désaccord entre bailleur et preneur, sur le principe de la fixation du loyer à sa nouvelle valeur locative, ou sur cette valeur, il est possible de saisir le Juge des Loyers Commerciaux. La mise en fonctionnement de la première ligne du métro en 2012 avait généralement été considérée par le tribunal et la cour d’Appel de Rennes comme justifiant des déplafonnements de loyers pour les commerces qui en subissaient l’impact. Il en sera sans doute de nouveau ainsi pour la ligne B du métro. On peut même s’attendre à des demandes similaires lorsque le parking Vilaine au centre de Rennes sera supprimé, car ce sera également un bouleversement pour les commerces alentour. Il faut donc se tenir prêt et anticiper pour que, près de la tranquille Vilaine, joli métro rime avec beaux baux.

Par Claire Hutin, avocat

Vade-mecum de la rupture (des relations commerciales établies)

3 janvier 2022

En 2000, le Code de commerce intégrait l’interdic­tion de rompre brutalement des relations commer­ciales établies (actuel article L442-7-II). Ces disposi­tions autorisent la victime d’une rupture brutale à exercer une action en réparation du préjudice causé par l’absence de préavis. Après plus de 20 ans d’application, les Tribunaux de commerce spécialisés, notamment le Tribu­nal de commerce de Rennes, sont toujours régulièrement saisis de litiges opposant des entreprises dont la relation commerciale a pris fin de façon brutale, sans préavis. Une dose de rappel s’impose donc quant aux conditions d’une bonne rupture.


A qui, et comment s’applique  l’article L442-1-II du Code de commerce ? Une relation commerciale, mais pas nécessairement un contrat écrit 

L’action en réparation du préjudice causé par une rupture brutale doit concerner une relation commerciale « éta­blie » L’existence d’une telle relation n’exige pas l’établis­sement d’un contrat écrit. Est exigée une relation « suivie, stable et habituelle». Elle résulte d’une continuité de flux d’affaires entre les partenaires commerciaux.

Quel type de rupture est sanctionné ? 

Une rupture même partielle de la relation commerciale peut être sanctionnée. Une baisse de commandes, un dé­référencement de certains produits, ou une modification substantielle des conditions contractuelles, peuvent carac­tériser une rupture brutale des relations commerciales. 

La rupture doit s’accompagner d’un préavis suffisant. Comment le calculer ?

Le préavis suffisant doit s’entendre du temps nécessaire à l’entreprise pour se réorganiser, pour préparer le redéploie­ment de son activité ou trouver une solution de rempla­cement. Sont pris en compte : l’ancienneté des relations, le degré de dépendance économique, le volume d’affaires, la progression du chiffre d’affaires, les investissements effectués, les relations d’exclusivité. En pra­tique, et sauf sec­teurs particuliers, il est d’usage de calcu­ler un mois de préavis par année de relation commerciale, avec un maximum de 18 mois de préavis. Il est à noter que la limita­tion contractuelle du préavis ou de la res­ponsabilité de l’auteur de la rupture est inopposable à la victime, l’article L442-1 étant d’ordre public.

Quel préjudice en cas de rupture brutale ? 

Le préjudice résultant du caractère brutal de la rupture est constitué par la perte de la marge dont la victime pou­vait escompter bénéficier pendant la durée du préavis. Les Juridictions prennent en considération la marge sur coûts variables : différence avec le chiffre d’affaires dont la victime a été privée, déduction faite des charges qui n’ont pas été supportées du fait de la baisse d’activité résultant de la rupture.

Quid des ruptures sans préavis en période covid ? 

S’il ne fait nul doute que certaines ruptures sans préavis ont été justifiées par le contexte sanitaire, d’autres sont intervenues par effet d’aubaine. Une rupture sans pré­avis n’est pas fautive si elle est justifiée par des éléments conjoncturels dont il est démontré qu’ils sont la cause de la rupture. La Cour d’appel de PARIS a eu l’occasion de se prononcer en ce sens en retenant, au regard du secteur considéré (l’aviation) et au regard des circonstances de l’es­pèce, que la pandémie caractérisait un élément de force majeure permettant de s’exonérer du préavis. Dès lors, si la preuve du lien entre la conjoncture et la rupture sans préavis n’est pas établie, la rupture devrait être considérée comme fautive. 

Le contentieux des pertes d’exploitation Covid, une histoire de flous ?

3 janvier 2022

Le 15 mars 2020, de nombreux commerces baissaient leurs rideaux.  Un virus déclenchait la fin du monde d’avant ou le début du monde d’après, ou alors un peu des deux à la fois, avouons-le d’emblée, tout cela était un peu flou.

Et les assureurs ont horreur du flou. Tout le moins, c’est ce qu’on pouvait penser en relisant leurs épais contrats, conditions générales et particulières, extensions, avenants et autres fascicules. Une première lecture réservait un sort bien différent selon les rédactions des clauses pertes d’exploitation. Certains contrats excluaient clairement les risques épidémiques et pandémiques. D’autres un peu moins clairement. Et d’autres méconnaissaient ces risques pourtant identifiés depuis des siècles.

Ainsi, de nombreux juges se sont retrouvés à interpréter en même temps les mêmes contrats d’assurance pour un même sinistre. Et si le monde d’avant érigeait le principe de la même justice pour tous, la jurisprudence de 2020 a surtout révélé des disparités en fonction des territoires. Dans le contentieux juridique (et médiatique) entre AXA et les restaurateurs, des décisions totalement contradictoires ont été rendues, parfois à quelques jours d’intervalle. Désormais, les Cours d’appel d’Aix-en-Provence1, Rennes2, Toulouse3 ont « homogénéisé » le raisonnement sur les conséquences financières de la fermeture administrative et pour l’instant seule la Cour d’appel de Bordeaux4 résiste aux vents favorables pour les assurés. Le débat sur les pertes d’exploitation est suivi de près car après les bars, les restaurants et les boîtes de nuit, les hôteliers attendent eux aussi d’être fixés sur ces contrats. Et là aussi, les situations sont différentes entre hôtel, hôtel-restaurant, établissement avec un bar, une piscine, un spa, une activité de loisir … D’autres commerces touchés par les mesures de restrictions sont concernés. Dans ces contentieux, la discussion se porte davantage sur la question de l’accès vers ces établissements. Les confinements et restrictions de déplacements n’incitaient pas réellement au tourisme et de nombreux établissements ont préféré fermer plutôt que de supporter des charges sans perspective d’activité. Quel est l’intérêt d’ouvrir un hôtel en montagne quand la quasi-totalité de la station est à l’arrêt et que la clientèle habituelle ne peut pas s’y rendre ? Un raisonnement intéressant a notamment été initié par le Tribunal de commerce d’Annecy5 et d’autres contentieux sont en cours. Pour ces dossiers qui concernent l’assureur AXA, malgré l’orientation amiable avec le déblocage d’une enveloppe de 300 millions d’euros, de nombreuses procédures (AXA en recensait 1500) restent pendantes et d’autres seront vraisemblablement engagées jusqu’à l’expiration du délai de prescription (deux ans à compter du 15 mars 2020). AXA y verra peut-être plus clair sur l’étendue du risque. La même attente semble également se profiler chez les assureurs mutualistes qui connaissaient aussi des décisions contraires.

Une synthèse de la jurisprudence amènerait objectivement à constater qu’il existe de nombreuses interprétations des contrats d’assurance et de leurs clauses d’exclusions. Or, comme l’a rappelé le Médiateur de l’assurance dans son rapport remis le 7 juillet 2027 au Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance : « On ne doit pas avoir à interpréter des clauses d’exclusion». Le médiateur de l’assurance. insiste ainsi sur la nécessité de réviser ces clauses. Certains assureurs l’ont fait au milieu de la crise sanitaire, tout en contestant vigoureusement le caractère flou de la première rédaction … Une lecture poussée des contrats s’impose. Car si le flou doit bénéficier à l’assuré, il conviendra de noter que pour l’instant, les assureurs en bénéficient également.

1 : Cour d’appel d’Aix en Provence, chambre 1-4, 25 février 2021 RG 20/10357
2 : Cour d’appel de Rennes, 5° chambre, 16 juin 2021, RG 20/04816
3 : Cour d’appel de Toulouse 3° chambre, 29 juin 2021 RG 20/02301
4 : Cour d’appel de Bordeaux, 4° chambre civile 7 juin 2021, RG 20/04363
5: Tribunal de commerce d’Annecy, 26 juillet 2021 (RG: 202100151)

A VENIR : Colloque Gardez la maîtrise de vos contrats à Rennes le 27 Avril 2017

22 mars 2017

Le collège des Avocats Spécialistes en Droit de l’Arbitrage (CASDA) organise le Jeudi 27 Avril 2017 à Rennes, en partenariat avec le Centre d’Arbitrage et de Médiation de Bretagne (CAMB ), un colloque consacré à l’incidence du nouveau droit des contrats en vigueur depuis le 1er octobre 2016 sur les rôles respectifs de l’entreprise, du juge ,du médiateur et de l’arbitre dans la naissance, la vie et la fin du contrat.

Cette réforme du droit des contrats concerne tous les secteurs de l’économie : Banque, Industrie, Services, Commerce et Distribution, Immobilier, Activités libérales

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PROGRAMME DU COLLOQUE
BULLETIN D’INSCRIPTION CASDA – COLLOQUE RENNES