Le contentieux des pertes d’exploitation Covid, une histoire de flous ?
3 janvier 2022
Le 15 mars 2020, de nombreux commerces baissaient leurs rideaux. Un virus déclenchait la fin du monde d’avant ou le début du monde d’après, ou alors un peu des deux à la fois, avouons-le d’emblée, tout cela était un peu flou.
Et les assureurs ont horreur du flou. Tout le moins, c’est ce qu’on pouvait penser en relisant leurs épais contrats, conditions générales et particulières, extensions, avenants et autres fascicules. Une première lecture réservait un sort bien différent selon les rédactions des clauses pertes d’exploitation. Certains contrats excluaient clairement les risques épidémiques et pandémiques. D’autres un peu moins clairement. Et d’autres méconnaissaient ces risques pourtant identifiés depuis des siècles.
Ainsi, de nombreux juges se sont retrouvés à interpréter en même temps les mêmes contrats d’assurance pour un même sinistre. Et si le monde d’avant érigeait le principe de la même justice pour tous, la jurisprudence de 2020 a surtout révélé des disparités en fonction des territoires. Dans le contentieux juridique (et médiatique) entre AXA et les restaurateurs, des décisions totalement contradictoires ont été rendues, parfois à quelques jours d’intervalle. Désormais, les Cours d’appel d’Aix-en-Provence1, Rennes2, Toulouse3 ont « homogénéisé » le raisonnement sur les conséquences financières de la fermeture administrative et pour l’instant seule la Cour d’appel de Bordeaux4 résiste aux vents favorables pour les assurés. Le débat sur les pertes d’exploitation est suivi de près car après les bars, les restaurants et les boîtes de nuit, les hôteliers attendent eux aussi d’être fixés sur ces contrats. Et là aussi, les situations sont différentes entre hôtel, hôtel-restaurant, établissement avec un bar, une piscine, un spa, une activité de loisir … D’autres commerces touchés par les mesures de restrictions sont concernés. Dans ces contentieux, la discussion se porte davantage sur la question de l’accès vers ces établissements. Les confinements et restrictions de déplacements n’incitaient pas réellement au tourisme et de nombreux établissements ont préféré fermer plutôt que de supporter des charges sans perspective d’activité. Quel est l’intérêt d’ouvrir un hôtel en montagne quand la quasi-totalité de la station est à l’arrêt et que la clientèle habituelle ne peut pas s’y rendre ? Un raisonnement intéressant a notamment été initié par le Tribunal de commerce d’Annecy5 et d’autres contentieux sont en cours. Pour ces dossiers qui concernent l’assureur AXA, malgré l’orientation amiable avec le déblocage d’une enveloppe de 300 millions d’euros, de nombreuses procédures (AXA en recensait 1500) restent pendantes et d’autres seront vraisemblablement engagées jusqu’à l’expiration du délai de prescription (deux ans à compter du 15 mars 2020). AXA y verra peut-être plus clair sur l’étendue du risque. La même attente semble également se profiler chez les assureurs mutualistes qui connaissaient aussi des décisions contraires.
Une synthèse de la jurisprudence amènerait objectivement à constater qu’il existe de nombreuses interprétations des contrats d’assurance et de leurs clauses d’exclusions. Or, comme l’a rappelé le Médiateur de l’assurance dans son rapport remis le 7 juillet 2027 au Ministre de l’Economie, des Finances et de la Relance : « On ne doit pas avoir à interpréter des clauses d’exclusion». Le médiateur de l’assurance. insiste ainsi sur la nécessité de réviser ces clauses. Certains assureurs l’ont fait au milieu de la crise sanitaire, tout en contestant vigoureusement le caractère flou de la première rédaction … Une lecture poussée des contrats s’impose. Car si le flou doit bénéficier à l’assuré, il conviendra de noter que pour l’instant, les assureurs en bénéficient également.
1 : Cour d’appel d’Aix en Provence, chambre 1-4, 25 février 2021 RG 20/10357
2 : Cour d’appel de Rennes, 5° chambre, 16 juin 2021, RG 20/04816
3 : Cour d’appel de Toulouse 3° chambre, 29 juin 2021 RG 20/02301
4 : Cour d’appel de Bordeaux, 4° chambre civile 7 juin 2021, RG 20/04363
5: Tribunal de commerce d’Annecy, 26 juillet 2021 (RG: 202100151)