L’ara venu du froid
10 juin 2024
L’audience de règlement amiable
Jusqu’alors, l’ara était connu comme un oiseau exotique. Voici que l’ARA (audience de règlement amiable) prend son envol dans la sphère juridique de notre pays, en venant du froid.
Depuis de nombreuses années, le navire de la justice est un frêle esquif qui navigue en zone de tempête. Fin 2021, face à la menace de mutinerie, ont été lancés les états généraux de la justice. Ils ont permis le recrutement de quelques membres d’équipage supplémentaires. Ils ont aussi tendu à colmater quelques brèches. Pour une part, le matériau vient du Québec, qui connait depuis longtemps la conférence de règlement à l’amiable. Ainsi est née l’audience de règlement amiable, issue du décret du 29 juillet 2023, créant les articles 774-1 et suivants du code de procédure civile.
Nouveau MARD
Les MARD (modes alternatifs de règlement des différends : médiation, conciliation, arbitrage) sont conçus pour régler un différend sans recours au juge. Ils reposent sur la participation des parties à la recherche d’une solution. Soit les parties déterminent elles-mêmes la solution avec ou grâce à l’intervention d’un tiers (médiation, conciliation), soit elles confient à un tiers le soin de trancher (arbitrage). L’audience de règlement amiable fait intervenir un juge dans le processus, mais il ne s’agit pas de celui qui tranchera si aucun accord n’est trouvé.
En effet, « Le juge saisi d’un litige portant sur des droits dont les parties ont la libre disposition peut, à la demande de l’une des parties ou d’office après avoir recueilli leur avis, décider qu’elles seront convoquées à une audience de règlement amiable tenue par un juge qui ne siège pas dans la formation de jugement dans les cas prévus par la loi. Cette décision est une mesure d’administration judiciaire. Elle ne dessaisit pas le juge » (article 774-1 CPC).
Compréhension des principes juridiques
Médiation ou conciliation ne supposent pas en principe de compétences juridiques. L’arbitrage peut être rendu en amiable composition, c’est-à-dire sans nécessairement appliquer la règle de droit. L’ARA, quant à elle, a notamment pour finalité la compréhension des principes juridiques. L’article 774-2 du Code de procédure civile prévoit que « L’audience de règlement amiable a pour finalité la résolution amiable du différend entre les parties, par la confrontation équilibrée de leurs points de vue, l’évaluation de leurs besoins, positions et intérêts respectifs, ainsi que la compréhension des principes juridiques applicables au litige ». La comparution des parties est obligatoire. Leur avocat les assiste. Au travers des lignes, il semble qu’il faille comprendre que le juge aura pour charge de leur expliquer que les règles de procédure ou de fond ne leur permettent pas d’obtenir gain de cause, voire les exposent à une condamnation et que, pour éviter celle-ci, un accord est préférable. La parole du juge étant perçue comme particulièrement autorisée, il faut escompter que le litige n’ira pas jusqu’à son terme. C’est bien la parole du juge qui constitue l’élément déterminant.
Retour de l’oralité
Voici donc un juge qui parle et devant qui il est possible de parler. La mode s’était perdue devant les tribunaux judiciaires et les cours d’appel. Dans les temps anciens où la chose se pratiquait, en conférence de mise en état, de façon informelle dans les couloirs ou même à l’audience, la discussion véritable permettait parfois de faire aboutir un accord. Depuis plus de vingt ans, le caractère écrit de la procédure s’est beaucoup accru. Par ailleurs, la plupart des audiences sont devenues très brèves, assez formelles, sans échanges véritables. Le législateur redécouvre donc les mérites de l’oralité dans l’œuvre de justice. L’intention est louable. Reste à espérer qu’il existera suffisamment de magistrats pour que l’ARA prenne son envol.
Par Philippe LE GOFF